Face au miroir
L'époque est propice à l'introspection, mais les poètes ont toujours pratiqué cette descente en soi qui est ascèse. C'est à un miroir autre que l'on se regarde, un miroir sans fard où "ton cœur pose toutes les questions auxquelles seul le vécu peut répondre" nous dit le poète australien Peter Bakowski. Un exercice qui est une pierre de touche car, comme le remarque Jean-Pierre Farines, "si la vie n'est pas plus vraie autour du poète, il n'est sans doute pas un vrai poète. "Et Bakowski confirme : "la vérité seule peut faire durer un poème plus longtemps qu'une bougie".
Autoportrait avec convictions,
19 octobre 1997
De temps à autre mon amour-propre
se coupe en se rasant,
de temps à autre mon cœur-aéroport
attend l'atterrissage du bonheur.
Moi aussi, je suis
en faveur du développement personnel,
mais sidéré
par son prix sur l'étiquette.
Je crois que :
Le téléphone et le moustique
appartiennent à la même famille.
L'art prête des jumelles
à la vérité.
La peur
peut faire un calvaire
de notre existence.
Cependant, mes convictions
sont des chapeaux
que la vie
fait parfois s'envoler
tandis que je subis
les fluctuations
de ma météo intérieure.
J'essaie d'écrire
sur notre condition
d'être humain,
mais ça ne rate jamais :
chaque fois
que j'en rencontre un,
il m'oblige
à déchirer
ma dernière copie.
Je ne dirais pas
que j'ai un appétit
insatiable
de vie
car
j'ai souvent sommeil
l'après-midi,
mais je reste
curieux.
En fait, je dirais
que la curiosité
est ma meilleure amie :
je ne saurais compter
le nombre de fois où
elle m'a fait
renoncer
au suicide.
Eh bien oui,
je pense souvent
à la mort.
Il me semble important
de réfléchir aux choses
si populaires.
Mais
ce soir
je suis vivant
j'essaie de convier la vérité
à danser avec moi
sur
quelques pages blanches.
Peter Bakowski, Le cœur à trois heures du matin, éditions Bruno Doucey. Traduction Mireille Vignol et Pierre Riant.
Et le moindre coup d'œil dans ce miroir intérieur est un éclair de lucidité :
Qu'ai-je appris depuis ce matin
Le soleil à midi est venu sur le seuil
Je n'ai pas su le faire entrer
Jean-Pierre Farines, Petits poèmes du jour et de la nuit. Editions Alcyone