Êtres immobiles
Nous sommes toujours assignés à résidence... Mais autour de nous, d’autres sont, par nature, à demeure; les arbres, ces êtres immobiles, en dépit de leur "amicale indifférence" dont parle James Sacré, ont quelque chose à nous apprendre.
Certains érables, on voudrait les photographier le soir
À cet instant que ça n'est déjà plus possible
À cause que dans la nuit presque là;
C'est comme des feux d'épines qu'un homme attise encore
Au bout de sa journée, loin dans les champs.
On prendrait la photo à l'intérieur
D'un grand feu doux qui touche à l'ombre. Le temps d'un brûlot de mots,
Puis c'est vraiment la nuit. On ne voit plus rien.
Mais des arbres sont plus rouges, tout près.
James Sacré, America solitudes, André Dimanche éditeur.
C'est d'ailleurs leur "amicale indifférence" qui nous pousse, parfois, à nous confier à eux. Comme Nicolas Bouvier demandant au marronnier de son enfance une réponse que sa vie aux quatre coins du monde ne lui pas apporté.
Poème vert
Nous avions grandi ensemble
marronnier
aujourd'hui silencieux souverain
qui portes ombre propice et n'en as pas souci
qui ne racontes pas ta vie
dis-moi ce qu'il faut faire
quand le soleil a disparu
dis-le moi lentement avec des feuilles neuves
que je puisse t'entendre
du fond de mes campagnes en friches
Et vous autres derrière la haie
peupliers, acacias, tilleuls
cèdre en forme de ciboire
alignés sur la portée du pré
comme les notes d'un kyrie
silencieuse oraison de feuilles
latin murmurant de ramures et d'aiguilles
pédagogues des champs
si discrets dans vos propos salubres
verts acolytes et patients funambules
un mot, juste un seul sur la paix qui me manque
ou même un bruissement
avant que la nuit vous reprenne.
Nicolas Bouvier, Le Dehors et le Dedans, éditions Zoé.
Quel mot ? sinon un silence qui nous traverse :
Aller
immobile
partout à la fois
dans l'infini qui vient
être
arbre
François Graveline