Au grand galop

Publié le 02/05/2020

© Musée de la céramique de Lezoux

Certains jours, je n'en peux plus. Me prend l'irrépressible besoin de sauter à cheval, de filer au grand galop en une chevauchée fantastique, une cavale éperdue par delà les confins. Les livres sont des véhicules, certains sont chevaux. Dans mon écurie bibliothèque, j'ai choisi le fougueux Antonio Ramos Rosa et je suis parti, cravachant, cœur battant, vrai vivant. Je n'en suis pas encore revenu.


D'emblée, la plume enfiévrée de Ramos Rosa m'a éperonné :

Je suis cheval dans le cheval
parce que la parole dit son entièreté
(...)

Chaque vers bondit, caracole, piaffe. Le paysage s'accélère, le temps s'alentit : galop, cette lenteur d’être (...)
(...) le cheval avance inscrit dans le poème
(...) jette ce pont vivant entre la mort et la vie


Je suis emporté par plus fort que moi, dévale les pages à bride abattue sans jamais le moindre écart car la précision du cheval est plus grande que le chemin. Je vis la pure intensité du cheval (...) je vis plus haut que le temps :
Cheval feuille après feuille
cheval pour jouer, lire, écrire la terre
où tu as planté ta stature,
force du corps entier s’ouvrant au vent,
(...)
Cheval de parole et de terre,
vaste par son nom et par son être,
il court le temps d’un regard sur la plaine,
ou se cabre embrasé sur les maisons
(...)
Il n’en finit pas le cheval d’être cheval
par son nom et par son corps,
par l’argile rouge et le taillis vert,
le commencement de la forme de son être


Cheval , je peux (...) te connaître du sol jusqu’à la crinière et ressentir :
le métal d’un instant pur
la main sur le dos du cheval débridé
(...)
Je crois à ton silence, à ta peau de lumière,
à ton galop violet, éclair terrestre,
animal de pluie, de vent et de ciel nocturne
aux formidables naseaux qui aspirent l’air de la nuit.
(...)

Où m'emportes-tu, Pégase qui, à chaque pas, fait jaillir poésie et passion :
Cheval et femme dans leur parfaite nudité
sont les figures vivantes de la sensation absolue,
la perfection de l’être dans la clarté de la forme.


Où m'emmènes-tu ? Je finis, épuisé, par sombrer dans le sommeil et tu me déposes, inconscient, où Il y a un pré dont l’herbe est faite pour le bonheur (...)
je dors ici entre ciel et amitié.


Antonio Ramos Rosa, Le cycle du cheval, , Gallimard. Traduit du portugais par Michel Chandeigne.